Mesures de qualité de l’ “efficacité” des soins de santé

La qualité, l’efficacité, la fiabilité d’une entreprise et de ses prestations se mesurent, en partie, aux accréditations et certifications qu’elle a décrochées. De plus en plus, les établissements hospitaliers pourront être évalués par les patients, par le citoyen lambda, à l’aune de l’efficacité de leurs procédures internes, largement dépendantes ou encadrées par des solutions informatisées.

Demain, le choix d’un hôpital où se faire soigner se fera sans doute largement sur base de la réputation que les patients lui auront accordée sur la Toile (vision collaborative) et, plus sérieusement, sur base des niveaux de maturité atteints dans divers modèles d’évaluation, audités par divers organismes.

C’est le cas de deux échelles de maturité imaginées par HIMSS (Healthcare Information and Management Systems Society), un organisme sans but lucratif qui se donne pour mission de promouvoir les niveaux de santé via l’implémentation de solutions IT. Ces deux modèles d’évaluation sont, d’une part, l’EMRAM – Electronic Medical Record Adoption Model – destiné à mesurer la qualité (ou “performance”) des systèmes d’information hospitaliers intégrant le dossier médical informatisé ; et, de l’autre, le CCMM – Modèle de Maturité de Continuité des Soins.

La quête du Graal

“Tant le modèle EMRAM que le modèle CCMM sont importants pour optimiser les soins”, déclarait le Prof. Philippe Kolh, CIO du CHU de Liège lors de la récente conférence HIMSS Europe qui se tenait à Liège. “Ils représentent une feuille de conduite pour progresser en matière d’informatisation médicale et d’optimisation des soins au patient.”

Sur l’échelle EMRAM (plus d’informations sur ses 8 niveaux en fin d’article), seuls deux hôpitaux belges se sont hissés au niveau 6. A savoir: l’UZ Brussel et, depuis fin 2016, le CHU de Liège, ce dernier ambitionnant de franchir le dernier échelon dans le courant de l’année prochaine. A l’échelle européenne, seulement 50 établissements ont atteint le niveau 6.

CCMM, l’hôpital “imbriqué”

Pourquoi, après avoir tenté de gravir les échelons du modèle EMRAM, les hôpitaux devraient-ils également se soucier de se plier aux évaluations de “performances” CCMM?

Le modèle EMRAM ne porte en fait que sur l’évaluation d’efficacité et de suivi de l’informatisation interne d’un établissement hospitalier, pour le suivi du dossier patient intra muros. Or, un passage à l’hôpital n’est qu’un maillon dans la chaîne des soins (ou suivi de santé) de tout individu. Il y vient avec un historique, avec un carnet virtuel de santé marqué du sceau de ses visites et traitements chez son médecin généraliste, chez un certain nombre de spécialistes…

Une fois ressorti de l’hôpital, le suivi au long cours reprend. Et, à l’heure de quantified self, des dispositifs connectés (santé et fitness), des applis mobiles mais aussi des contraintes croissantes pour raccourcir les séjours à l’hôpital et renforcer l’hospitalisation à domicile, cet extra muros prend de plus en plus d’importance.

Sans un suivi indépendant du lieu et du contexte des soins, même un hôpital ayant atteint le niveau 7 de l’échelle EMRAM apparaîtrait comme un fortin isolé. D’où l’idée d’ajouter un nouveau mécanisme d’évaluation de la continuité des soins – sans barrières artificielles.

“Il faut aller plus loin”, soulignait le Prof. Philippe Kolh lors de la même conférence HIMSS. “Le modèle CCMM est ouvert vers le monde extérieur et permet de réellement placer le patient au centre. Cela suppose une interopérabilité entre les systèmes des différents établissements, que le patient soit réellement l’acteur de sa santé, qu’il puisse introduire des informations dans son dossier, que des échanges de prescriptions médicales puissent se faire entre professionnels, entre établissements, en ce compris par exemple avec les maisons de soins…”

Le but est donc d’éviter qu’il y ait rupture de suivi dans la chaîne des soins. Rupture pénalisante pour le patient en priorité mais aussi pour l’image de l’hôpital qui n’aurait par exemple pas assuré la qualité des prestations dans la période critique de la “post-op” vécue de plus en plus souvent à domicile.

Source: étude Nuance Communications (France, 2016)

Un traitement mal compris et mal suivi, une prescription non respectée, une mauvaise gestion d’une douleur post-opératoire révélatrice d’un problème, un manque de support par l’infirmière à domicile ou les services d’assistance sociale… Tout cela peut avoir pour conséquence… un retour à l’hôpital dans un état dégradé. Et donc de nouveaux coûts.

Les nouveaux critères et paramètres sur lesquels les hôpitaux, demain, seront jugés incluent donc leur aptitude à jeter des passerelles avec les prestataires et contextes extra-hospitaliers. Objectif: inclure dans le suivi et dans l’analyse des données médicales les données collectées par des dispositifs en tous genres utilisés à domicile ou en mode ambulatoire, les conseils aux patients (et la vérification de leur bonne application), les alertes déclenchées automatiquement par les dispositifs ou applis e-santé…

Voici se qu’en disait John Rayner, directeur régional (Europe, Amérique latine) de HIMSS Analytics: “Les soins intégrés impliquent une efficacité et une sécurité d’échanges d’informations, un alignement des procédures, une implication du patient. Une série d’obstacles font barrage à cette continuité de soins: des systèmes informatiques non interopérables, un processus d’évaluation non harmonisé, une rupture dans la chaîne financière du suivi santé du patient, un manque de clarté dans la responsabilité clinique, des réticences à partager l’information et à passer le relais en termes de soins…”

Les 8 niveaux de maturité CCMM

Lancé en 2014, le Modèle de Maturité de Continuité des Soins vise à établir le degré de progression d’un hôpital dans son aptitude, via la mise en oeuvre de solutions IT, à assurer un suivi efficace du trajet de soins des patients, quel que soit le contexte où il les reçoit – au sein de l’établissement, à son domicile (hospitalisation à domicile ou surveillance à distance), auprès d’un généraliste ou d’un spécialiste qui participe à la “chaîne des soins”, etc. etc.

Pour situer l’hôpital dans l’échelle en 8 niveaux de maturité du CCMM, les critères d’évaluation portent sur l’efficacité des échanges d’informations, de la coordination des soins, sur l’interopérabilité, le taux d’“engagement” (implication) du patient et le recours à des outils d’analyse pour l’interprétation des données de suivi collectées.

Les 8 niveaux CCMM:

0 : processus d’e-communications limités ou inexistants

1 : échange élémentaire de données de pair-à-pair

2 : données cliniques centrées sur le patient, via échange élémentaire de système-à-système

3 : dossier patient normalisé avec plans de soins partagés, s’appuyant sur une interopérabilité structurelle

4 : coordination des soins basée sur des données exploitables , en ayant recours à un dossier patient interopérable sémantique

5 : dossier patient à l’échelle d’une communauté, basé sur des informations appliquées et une focalisation sur l’implication du patient

6 : coordination des soins en boucle fermée, impliquant tous les membres des équipes de soins

7 : implication pilotée par la connaissance, autorisant un modèle de soins dynamique interconnecté multi-organisme, multi-fournisseur

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EMRAM: intégration interne

L’échelle d’évaluation EMRAM est destinée à mesurer la qualité (ou “performance”) des systèmes d’information hospitaliers intégrant le dossier médical informatisé.

Le modèle est structuré en 8 niveaux:

– niveau 0: le dossier patient papier demeure le seul support connu et utilisé

– niveau 1: les 3 principaux services de soutien diagnostique et thérapeutique (labo, radiologie, pharmacie) sont informatisés mais sans qu’il y ait déjà intégration

Source: HIMSS

– niveau 2: l’hôpital a déployé un dossier patient informatisé (DPI), dispose d’une base de données (référentiel électronique de données cliniques voire entrepôt de données) et le système est prêt pour des échange de données (imagerie comprise)

– niveau 3: outre le DPI, un DII (dossier clinique infirmier informatisé) est en place, de même qu’un premier niveau de système d’aide à la décision clinique (contrôle d’erreur)

– niveau 4: l’hôpital a informatisé la saisie des ordonnances (demandes d’actes, d’examens, de médications) et a éventuellement implémenté une aide à la décision clinique sur base des protocoles cliniques (pour de la détection d’erreur dans les prescriptions médicamenteuses, de doublons, de conflits médicamenteux…)

niveau 5: l’imagerie médicale (PACS) est entièrement numérisée

– niveau 6: les systèmes informatisés de support à la prise de décision sont pleinement opérationnels avec, par exemple, interaction entre les observations encodées par les médecins et les protocoles cliniques qui déclenchent des alertes ; corollaire: le circuit de médicaments est informatisé

– niveau 7: le dossier patient est complètement informatisé et de l’analytique de données est à l’oeuvre dans une optique d’amélioration et de continuité des soins, de génération de rapports de résultats, d’assurance qualité, et de veille économique